SOFAM - Cindy Wright - Eye to eye
(c) Cindy Wright 2020. Photo credit: WeDocumentArt
SOFAM - Cindy Wright - Eye to eye
(c) Cindy Wright 2020. Photo credit: WeDocumentArt
SOFAM - Cindy Wright - Eye to eye
(c) Cindy Wright 2020. Photo credit: WeDocumentArt

Jeudi  10  décembre 2020

Cindy Wright - Eye to eye

Musée Hof van Busleyden, Malines, jusqu'au 17.01.2021

Chacun a dans sa tête une représentation de ce à quoi ressemble un crâne : une forme convexe, des cavités noires à la place des yeux, des narines, un os temporal enfoncé des deux côtés, la courbe des pommettes, une mâchoire inférieure manquante...peut-être quelques dents flottantes qui s'accrochent obstinément. Souvent, les gens imaginent un crâne de caricature, blanc sur noir, comme sur un drapeau de pirate, avec deux os croisés en dessous. Le crâne est à la fois un symbole et un indice de la mort, omniprésente, qui renvoie instamment à la condition humaine.

Dans l'installation EYE TO EYE de Cindy Wright au musée Hof van Busleyden, cette fonction de signalisation d'un "crâne" - à travers dix dessins au fusain de grands formats représentant autant de crânes humains réels et individuels, plus un dessin encore plus grand qui les relie - est radicalement brisée, explorée de façon palpable et considérablement ralentie dans l’immédiateté de notre perception.

L'artiste répond ainsi à l'invitation d'entrer en dialogue avec la collection du musée : la miniature en albâtre de Saint Jérôme, accompagnée d'un lion et d'un crâne fortement stylisé sur un socle, a été l'occasion de cette installation de grande envergure.

Certains décrivent l'espace réduit dans le vaste sous-sol du musée, où sont accrochés les dessins, comme une sorte de crypte, et à juste titre : l'installation évoque une atmosphère feutrée, comme dans les catacombes d'une église ou d'une cathédrale. L'environnement est d’un gris profond, tirant vers le noir ombragé, dans des tonalités discrètes. L'éclairage précis et chaleureux y dirige le regard vers les œuvres.

Les dessins sont d'une taille telle que, lorsque vous vous tenez devant eux, vous êtes, pour ainsi dire, inclus dans l'image de chaque crâne. Les détails s'imposent à la vision : les cavités oculaires ne sont pas du tout noires, mais laissent place à un dos creux avec un petit trou à l’intérieur, ou à une rivière sombre, par laquelle les nerfs de l'œil trouvent leur connexion avec le cerveau. Dans un des dessins, cette partie semble se fondre dans un voile pluvieux, dans un autre, la surface de l'os semble tangible, dans d'autres, ce sont des espaces créés par le dessin lui-même, chacun racontant sa propre histoire.

On se rend rarement compte qu'un crâne est constitué de 21 os, ou 22, si l'on inclut la mâchoire inférieure. Chaque partie diffère en fonction des individus. L'endroit entre les sourcils (la glabelle, nous apprend une recherche anatomique), présente dans ces dessins des sillons, des fissures ou des éraflures dans certains crânes, et leur donne leur caractère spécifique. Ces marques semblent suggérer le tempérament de leur propriétaire. L'une d'entre elles semble fissurée sur les bords, comme si elle allait s'effondrer à tout moment. Il en va de même pour le processus du dessin en lui-même : en tant que spectateur, nous pouvons suivre la méthode de travail de l'artiste dans son intégralité : de près, nous faisons l'expérience de l’abstraction, avec des noirs veloutés, qui suggèrent la profondeur de champ, tandis que d'autres passages noirs semblent flotter "devant" des parties plus solides et plus blanches. À certains endroits, le traitement de la surface semblent désordonné, voire bâclé, mais une fois que l'on fait quelques pas en arrière, le jeu optique est tout à fait correct.

Cindy Wright introduit un questionnement sur la perception, qu'elle traite de façon magistrale. Pour le spectateur, c'est une expérience vitale qui transcende la peur de la mort, tout en soulignant la mortalité de chacun.

L'élaboration de ces dessins monochromes semble également donner à Cindy Wright une certaine liberté, ou un espace de respiration, en dialogue avec son oeuvre peinte et hyperréaliste. Les dessins au fusain, par l'efficacité avec laquelle ils incarnent la mortalité, sont des memento mori vivants, qui s’inscrivent dans l’histoire de la peinture et, paradoxalement, dans l’actualité.

Le onzième dessin, la dernière partie de l'exposition, présentés à l’extérieur des murs de la « crypte », réunit les dix dessins en un tout plus grand : les couches qui se chevauchent génèrent une profondeur indéniable avec laquelle un crâne plus universel est créé. De cette complexité émane une profonde tranquillité, une consolation en ces temps difficiles.

K.C.M.

L’exposition EYE to EYE de Cindy Wright peut être visitée au Musée Hof van Busleyden à Malines, jusqu’au 17.01.2021. Avec votre billet du musée, vous pouvez, entre autres, découvrir les jardins clos au grenier, et aussi 4 autres expositions d'art contemporain à proximité du musée : de Sergio De Beukelaer au CC Malines et de Maen Florin, Stefan Serneels et Xavier-Noiret-Thomé au deGarage.

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